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le blog du nain de jardin masqué
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2 juin 2010

Bonheur en vue.

Chapitre 1 (3/3)

L'année dernière donc, nous étions allés récupérer le troisième larron à sa descente de train, il revenait d'un séminaire en province et, si maintenant sa connaissance en ce qui concerne les courbes de ventes était parfaite, par contre sa libido en avait pris un coup!
Une semaine, ou presque, confiné dans un hôtel à boire et manger entre deux séances de travail. Avec à chaque fin de repas le concours du plus beau bébé.
Car lorsque l'on est un jeune cadre trentenaire et dynamique , on a forcément une femme et des enfants dont on est fier.
Jean, lui, n'avait pas de photos à montrer.
Peut-être celle de son chien !
Certainement pas celle de son dernier amant, il s'était fait plaquer quelques semaines auparavant par un bel américain, retourné au pays pour veiller au bon goût des milliers de hamburgers de la chaîne de restauration rapide pour laquelle il travaillait.
Jean était ce soir là d'humeur coquine. rien qu'à voir la lueur de lubricité qui passait dans on regard on comprenait tout de suite à quel point il avait envie de sexe.
"J'ai envie de faire le kakou ce soir !", nous avait-il fièrement annoncé.
Il avait même inventé un verbe pour cela : "kakouiller".
Et lorsqu'il lâchait ce mot les pires délires sexuels  étaient à prévoir.
Sexe !
Quand tu me tenais !
Quand je te tenais !
Si à Nice, j'avais été plutôt un enfant sage, ma liberté parisienne n'avait eu d'égale que ma liberté sexuelle !
A Nice, je devais me cacher, voler des baisers tard le soir sur des plages, à la merci d'une ronde de flics ou de quelques casseurs de pédés en mal d'aventure.
A Paris j'avais découvert le sexe au grand jour !
Le jour. La nuit.
Les saunas, les bars, les boîtes, les lieux de dragues,
les regards provocateurs dans le métro ou bien au supermarché de mon quartier.
Paris respirait le sexe et la luxure.
Aujourd'hui cette odeur était en train de m'asphyxier.
J'avais trop respiré cet air vicié et vicieux qui inondait la capitale. Bien m'en prenait puisque maintenant la bête était entrée en moi au plus profond de mes poumons, dans tous les globules de mon corps, rendant noir ce sang que je préférais bleu .
"Vous allez bien ?".
Ces trois petits mots viennent de claquer contre moi comme la vague que vient de laisser un bateau mouche à mes pieds.
"Vous allez bien?" .
Pourquoi me parlait-il celui là?
Que me veut-il?
Perdu dans mes élucubrations je ne m'étais pas rendu compte que le petit brun s'était rapproché de moi.
"Vous avez l'air si triste, vous aviez l'air d'être si loin, qu'à un moment j'ai cru que vous alliez tomber dans la Seine."
Tomber.
Partir.
Emporté par les flots gris de ce lacet qui serpente la ville.
Non je ne tomberai pas. Ni là. Ni ailleurs. Il en faudrait bien plus pour me faire mettre un genou à terre.
"Je m'appelle Charles ! ".
Charles, tu deviens bien téméraire d'un seul coup. Ton apostrophe et ton prénom me ramenaient à la réalité. Celle de la vie. Même si il est tôt encore, tu es bien là, à côté de moi en train de tendre une main.
Signe, ou simples délires chimiques de mon imagination en perpétuelle ébullition?
D'un seul coup me reviennent en mémoire, les différentes aventures qui m'étaient arrivées ici ou ailleurs. Passades d'un soir. Coups foireux ou foirés d'avance parce que l'un des deux n'était plus en possession de ses moyens.
Gay Paris !
Toutes mes turpitudes et même celles que je n'avais jamais osé imaginer; toutes mes envies, tous mes délires avaient pris forme dans cette grande ville où rien ne semblait interdit.
Haschich.
Coke.
Ecstasy.
Poppers.
Aucun plaisir ne m'avait été épargné.
Très vite pour moi, la ville était devenue l'Eurodisney du cul : je découvrais chaque soir de nouvelles aventures en suivant la queue de différents petits Mickeys.
Charles !
C'est bien un prénom d'étudiant !
Que fait-il ici à une heure aussi matinale?
Certes la question brûle mes lèvres mais, l'envie s'éteint tout aussitôt à l'idée de devoir nouer une conversation.
Que pourrait bien venir faire cet inconnu au milieu de ma déprime et de mes souvenirs ?
A-t-il les moyens de me faire oublier mon terrible locataire?
Il a tout au plus vingt-deux ans et j'en ai presque dix de plus.
"Je vous observe depuis presque une demi-heure, et je vous sens réellement perdu ! Une mauvaise nouvelle? "
Pauvre petit con !
Non tout va bien !
Ma vie défile à cent à l'heure, je les revois tous ou presque, je pense à ceux que j'ai aimés, à ceux que j'ai jetés, qui m'ont lâché, à ces points obscurs de ma vie
à tout ce que j'ai raté, et toi tu me parles de mauvaise nouvelle?
"Non je vais bien, merci ! ".
Fais gaffe petit Charles, certes la bête se meurt, mais elle sait encore se défendre et attaquer.
Et puis la dernière rencontre faîte ici ne me laissait pas un très grand souvenir.
Ce fameux soir de Saint Jean, mes deux nigauds, après un dîner copieusement arrosé avaient voulu venir ici sur les quais, histoire de rire. Peut-on vraiment s'amuser quand le glauque est plus fort que la réalité?. Les bords de Seine passé minuit ressemblent rarement à un décor d'une histoire de Barbara Cartland.  A cause d'une passerelle en construction, il y avait des échafaudages partout, et les maigres lumières jaunes éclairaient difficilement ce fatras de tôles et d'ombres furtives.
Jean et Jean, bien trop ivres pour voir quelques chose, s'étaient assis au pied de mon arbre et déliraient en regardant couler la Seine.
Moi perpétuellement à l'affût du moindre mouvement, je regardais, un peu excité, le ballet des silhouettes en mal d'amour.
Je n'étais pas très à l'aise, car ce genre d'endroit émoustillait un peu mes sens, mais me triturait aussi l'estomac, me causant une peur indescriptible.
Que je sois seul, ou accompagné, la même douleur m'étreignait le corps. Mélange d'angoisse, de peur et d'envie de l'autre. Sentiment sadomasochiste de la bête en rut qui guette sa proie pour assouvir ses moindres désirs les plus cachés.
J'avais remarqué, à quelques mètres de nous, un jeune homme adossé au mur, jouant avec un anneau qui servait autrefois à amarrer les nombreux bateaux qui empruntaient le fleuve.
Je distinguais mal ses traits, il avait l'air jeune, des cheveux frisés noir ébène, trahissaient ses origines.
Un petit beur ! .
"Qu'est-ce que tu fous le nain ? "
Les deux ivrognes aimaient à me rappeler que la nature avait oublié de me donner les quelques centimètres nécessaires pour faire partie de la moyenne des beaux mâles.
"Rien, je mate, et le spectacle de deux pauvres types écroules au pied d'un arbre est moins affriolant que celui des bellâtres qui rôdent autour de nous."
Jean n'aimait pas trop que je lui rappelle ses amours pour la dive bouteille. Cela généralement, le ramenait à la vie. Il se redressa tant bien que mal, laissant son alter ego hagard sous les branches protectrices de mon arbre.
"C'est le gamin en face? Plutôt pas mal! Un peu jeune peut-être?."
Et alors?. L’âge devait-il toujours compter? Il est vrai que chez les homos, c' était important, passé vingt-cinq ans on était vite rangé dans la catégorie des vieux, et au delà de trente, il fallait se résigner à entrer à l'hospice ! .
Mon âge ne semble pas rebuter le petit Charles qui se trouve prés de moi.
Allez Jonathan, sois aimable un peu, cela te changera.
La dernière fois que je l'avais été, c'était avec ce petit brun de la nuit de la saint Jean. Après lui avoir tourné un moment autour comme un chat après sa proie, je m'étais décidé à l'aborder, à lui parler.
Chose rare de ma part, parce que j'étais si peu sûr de moi et en même temps si fier.
Il s'appelait Karim, était marocain d'origine, perdu dans la grande ville, il avait hésité entre suivre des études et vivre de ses charmes. aussi parfois il tentait sa chance ici, et pour quelques centaines de francs, il assouvissait les plaisirs sexuels de quelques types pas toujours très jeunes en mal d'exotisme.
"Je ne paye pas pour baiser ! " , lui avais-je déclaré tout de go.
"Je ne t'ai pas demandé d'argent, et puis je n'ai pas envie de me faire sauter ce soir. J'ai envie de câlins."
Il m'avait pris la main et m'avait déposé au creux de la paume un de ces baisers tendres que l'on ne vous  donne que très rarement. Sauf si l'on aime.
Il avait réussi à me troubler, ce petit fils de pute !.
Il réveillait en moi des sentiments que je voulais enfouis. Je ne voulais plus aimer, à chaque fois cela faisait trop mal. Je ne cicatrisais pas bien. Il me faisait peur aussi, lui, avec ses faux airs de caïd de banlieue. Je ne voulais pas le ramener chez moi. Et puis il y avait mes deux "Jean".
Qu'allais-je faire d'eux ?
Les larguer là ?
Pas question, ou bien ils finiraient par s'endormir sur ce quai de débauche, à la merci du premier détrousseur venu.
"Allez les gnomes, on rentre ! ".
De toute façon, j'en avais assez de traîner ici.
Bien sûr, l'autre Jean n'avait pas envie de rentrer.
Toujours pareil avec ces deux cons, l'alcool ne les rendait pas faciles. Jean avait compris lui, il m'aida à ramasser l'épave, tandis que Karim nous balisait le chemin jusqu'à la  voiture que nous avions laissée plus haut, sur la voie rapide.
Vu leur état je pris d'autorité les clefs et je déposais les deux "Jean" à leurs domiciles respectifs.
Karim qui n'avait rien dit depuis le début des opérations se pencha contre moi et doucement, me glissa à l'oreille :
"Je sais que je te fais peur, mais ce soir j'ai pas envie de te lâcher, alors tu prends la direction du 18 éme et tu viens dormir chez moi."
Cette phrase sèche et pourtant pleine de tendresse dans sa bouche prenait une autre dimension. Il avait envie de moi. De ma présence. Et puis moi j'avais besoin de quelqu'un.
Aujourd'hui, aussi, j'avais besoin d'une présence, de quelqu'un à qui parler pour essayer d'oublier ce triste début de matinée.
Alors pourquoi pas Charles? .
"J'ai pas envie de rester ici,  si ça te dit accompagne moi plus loin, on prendra un café."
Mon petit étudiant me regarde un peu étonné, mais ramasse son sac et me suit.
Nous traversons les Tuileries et je décide de m’asseoir à la terrasse d'un des cafés kiosque du jardin.
Cette fois-ci je prenais les choses en mains, ce qui changeait beaucoup.
La nouvelle apprise ce matin me donnait des forces nouvelles. J'avais une revanche à prendre sur la vie.
Mon petit brun allait sans doute m'en donner l'occasion.
Karim m'avait porté,
Charles allait me supporter, me transporter.
Non, je ne m'emballais pas trop vite, mais un peu de réconfort ne pourrait pas me faire de mal. Je n'étais pas amoureux, mais j'avais besoin de repéres affectifs.
D'ailleurs j'avais perdu les miens depuis que Karim avait disparu de ma vie.
Cette nuit là, tout était allé très vite. Karim vivait dans une espèce de tour de Babel en plein coeur de la Goutte d'Or, au pied de Montmartre. Ici, en entrant dans la cage d'escalier, ça sentait l'Afrique, le Maghreb, et aussi un peu l'Asie.
Une petite ampoule nous guidait jusqu'à son sixième sous les toits.
L'intérieur tranchait beaucoup avec ce que je venais de voir avant la porte.
Chaîne stéréo, Home Cinéma, écran plat dernier modèle et tutti quanti.
Des fringues jetées un peu partout. Mais de luxe uniquement.
Cela représentait beaucoup de fric.
L'avait-il gagné avec son cul?. Avec des magouilles?.
Il avait dû sentir mes questions car il me rassura très vite :
" Oui c'est vrai je me prostitue, mais parfois je fais aussi quelques petits boulots, et puis vous les petits français vous aimez bien aussi notre petite poudre blanche à nous les arabes."
C'était donc cela, il touchait aussi à la dope. Le pied pour moi, je venais de tomber dans une histoire que je n'aurais même pas voulu écrire un jour de déprime.
"Whisky ?"
Il était là debout, devant moi, dans la lumière douce d'un halogène. Je détestais tout cela, et pourtant je me sentais bien, calme, détendu.
"Va pour deux doigts, avec de la glace."
En me servant, il s'était assis prés de moi sur le canapé. En me donnant le verre il effleura ma main avec la même tendresse que tout à l'heure dans l'auto.
Douceur qui tranchait avec le personnage qu'il était censé incarner.
De petite frappe des bas quartier, Karim, à mon contact, devenait petit bébé tendre en mal d'affection.
Nos mains à présent ne se lâchaient plus.
Elles exploraient les moindres parties de nos corps, se glissant entre la peau et les vêtements.
Nos doigts devenaient des instruments de détection, le reflet de nos désirs.
Soudain nos bouches se rencontrèrent.
Nous fîmes l'amour toute la nuit.
"Excusez-moi, je n'ai pas l'habitude d'accoster les gens comme cela. Je vous avais vu de loin sur le quai, vous me sembliez si triste, si loin de la vie, que je n'ai pas pu me résoudre à passer sans vous parler. C'était une attirance indescriptible.
Comme si vous étiez devenu une apparition, quelqu'un de différent. A cause de tout cela, j'ai décidé de ne pas aller en cours."
Ainsi, Je lui donnais l'impression d'être loin de la vie. De ma vie. depuis ce matin, il est vrai je n'en avais jamais été aussi éloigné et aussi proche à la fois.
Mes amants.
Mes amis.
Mon boulot.
Tout me collait à la peau, comme cette merde s'était accrochée à mes cellules, jouant au ball-trap avec elles.
" Je m'appelle Jonathan, j'ai trente et un ans, Je suis séropositif. Tu vois pour les pédés, je suis ce qu'on appelle une très mauvaise occase, même plus cotée à l'argus. Les ferrailleurs ne voudraient même plus de ma carcasse. Je ne suis pas fini, mais presque. Il y bien quelques morceaux à récupérer mais, moi, je pense bien être mentalement irrécupérable. Je suis largué Charlie, Bois ton café et casse-toi tant qu'il est encore temps. Je ne veux pas de ta tendresse, encore moins de ta pitié."
J'avais tout lâché sans reprendre mon souffle un instant. En quelques secondes je venais de balancer à un inconnu le résumé de ma vie. Je ne me serai jamais cru capable de le faire, moi l'être d'habitude si discret sur sa vie personnelle. Si secret.
Charles avait arrêté de boire son café, la tasse en l'air, il me regardait décontenancé.
Il respira un grand coup, se leva violemment, et en jetant sa tasse sur la table, il me hurla à la figure :
" Tu crois être le seul à souffrir sur terre. Penses-tu que tu sois le seul type à avoir le Sida au monde?. Mon  mec est mort de cette connerie il y deux mois, mais lui il se battait, il gardait la tête et haute et ne comportait pas comme une vieille fille malade et affolée. Ce n'est pas très fort pour un journaliste de votre classe, Monsieur Jonathan Guibert !"
Puis il ramasse sa sacoche et s'enfuit à toutes jambes avant même que je n'ai pu dire un mot.
Ainsi ce petit salopard sait qui je suis, à force de vouloir être connu, on me reconnaissait aussi.
J'étais tellement abasourdi, que je n'avais même pas pensé à le suivre, et maintenant, il avait disparu.
Charles !
Tu pouvais revenir!
J'avais besoin de toi. De tes poings pour me battre. Pour donner à mon microbe des coups de identiques à ceux que tu venais de m'envoyer en pleine gueule.
Tant pis, je payais nos deux cafés, j'aurais voulu emmener la tasse de Charles, pour garder un souvenir de son passage furtif dans ma vie.
Puis je décidais de rentrer chez moi.
On était mardi.
Je n'avais plus besoin de rien. Je n'aurais mes médicaments que la semaine prochaine. je passais quand même chez mon pote le pharmacien, pour avoir quelques somnifères, puis au Franprix en bas de chez moi.
Des jus de fruit, des oeufs, un peu de bouffe.
A l'appartement, je branchais le répondeur, le fax, je fermais les stores.
Adieu le monde.

                                                                                                                                               ( To be continued...)

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