Ma mamie du Franprix

Je vous ai déjà parlé de ma grand-mère, celle qui est partie il y a deux ans.
Elle s'est endormie dans mes bras.
C'était une de ces petites dames nées pendant la première grande guerre.
Qui a vécu bizarrement la deuxième, réfugiée en zone libre parce que mon grand-père gendarme avait escorté le roi des Belges jusqu'à la frontière espagnole.
Elle a vu évoluer le siècle.
Pas toujours facile pour une petite femme de la campagne de voir le monde se moderniser.
Elle était fière de voir ce que nous étions devenus, nous ses petits enfants.
Elle était passée d'un siècle à l'autre sans s'en rendre compte à cause de cette vilaine maladie qu'est Alzheimer.
Puis un matin elle est partie heureuse, endormie avec un sourire dans le regard.
Elle est toujours présente dans ma vie de tous les jours.
Je sens son regard bienveillant.
Je croise tous les jours son sourire avec cette photo discrétement posée dans mon salon...
Aussi quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'un soir devant le Franprix en bas de chez moi de voir une silhouette amie.
De dos, de loin, avec le soir tombant, on pouvait s'y méprendre.
Même petite coupe de cheveux de mamie, légérement irisée de bleu.
Le manteau avec ce col en fourrure amovible pour qu'il puisse faire hiver et printemps.
Une petite mamie qui attendait devant le magasin sans rentrer .
Qu'attendait-elle ?
Je décidais d'attendre discrétement pour voir ce qu'allait faire "ma mamie".
La réponse est arrivée rapidement en même temps que la très grosse poubelle verte du supermarché.
Sans honte aucune, elle s'est emparée du couvercle et s'est mise a trier les produits périmés datés du jour.
Le menu du soir s'invente au gré des restes de la poubelle.
Dignement, elle trie et range dans son petit cabas d'un autre temps.
Puis, elle tourne les talons et repart vers son chez-elle agrémenter ses trouvailles du soir.
Où habite-t-elle ?
Qui est-elle ?
Pourquoi les poubelles tous les soirs ?
C'est la question que je me suis posée.
Je me suis mis à l'épier quand je le pouvais.
Elle revient tous les jours inlassablement.
D'autres ont essayé de lui piquer la place.
Elle a resté.
Soleil, pluie, vent, rien ne l'arrête.
C'est qu'elle doit avoir faim.
C'est qu'il y a une raison.
J'aimerais bien la connaître
J'aimerais bien savoir ce qui pousse cette mamie qui pourrait être la mienne, la votre, à oublier sa dignité tous les soirs, le temps de vider une poubelle.
Devant tout le monde.
J'ai cherché et j'ai appris qu'elles étaient nombreuses ces mamies à faire les poubelles au bas de nos immeubles, dans l'indifférence totale.
Oui il y a eu les Don Quichotte.
Les sans-abris.
Mais il y a aussi en France des gens qui ont un logement, qui payent loyers et taxes et qui n'ont pas les moyens de se nourrir.
Des gens comme vous et moi, mais surtout des personnes âgées dont la retraite ne suffit pas.
Ce n'est pas un discours politique.
Ce n'est pas une diatribe en pleine campagne.
C'est juste une remarque sur ma "mamie du Franprix".